Le temps ne fait rien à l'affaire || Lysander

« …na ! Hana ! »

Lysander jeta un regard curieux dans l’amphithéâtre et surprit Hana, comme beaucoup d’autres avant lui, semi-assoupit. Quand bien même il aurait s’agit d’une autre personne, il n’aurait pu la blâmer. L’hébreu n’était pas pour tout le monde, en fait, il lui avait fallu moins d’un an d’enseignement pour comprendre que sa propre matière était un cache-misère. L’hébreu n’était pas simple en soi, mais les points qu’il donnait permettaient de compléter quelques lacunes. Mais de tous les élèves présents, s’il y en avait une qui devait écouter c’était bien Hana. Mère attendait beaucoup d’elle, peut-être trop pour ses frêles épaules, cependant Lysander n’éprouvait aucune peine pour la jeune Renfield. Il savait qu’elle y arriverait un jour. Et l’hébreu était la mère de toutes les langues, s’il y avait bien un moyen d’améliorer sa magie c’était en commençant depuis le début.

Il détourna le regard, continua son cours. Éventuellement, il conclut la leçon sur des anecdotes concernant les différences de l’hébreu et de son évolution particulière puisqu’il avait reculé pour mieux avancer avec différentes réformes et révolutions de sa graphie… Une chose que lui-même n’avait pas connu puisqu’il avait été emprisonné durant cette période. Le sujet le passionnait, ça n’avait pas l’air d’être le cas pour les élèves qui se mettaient à regarder leurs montres, téléphones et autres moyens de connaître l’heure. Ils attendirent qu’il eût fini, et à peine avait-il donné son accord non verbal que tous se levèrent et quittèrent la salle. Hana passa devant lui, bonne dernière. Il ne put s’empêcher de penser que, peut-être, elle souhaitait lui parler. En réalité, il mourrait d’envie de connaître le fond de sa pensée :« Mademoiselle Reinfield ? l’appela-t-il formellement, en attendant que les autres quittent l’amphithéâtre avant de passer sur un ton plus amical, empreint d’un accent arabe discret. Comment se passe vos, il jeta un regard furtif vers la porte, progrès ?... Nous ne sommes pas inquiets, vous avez encore le temps de développer vos… talents. Vous êtes brillantes et je tiens simplement à ce que vous le restiez, et ce pas seulement dans ma matière. »

Sa présence aux Sabbats et Esbats s’était faite sporadique, en fait, celui de Mars avait été le premier depuis plusieurs mois. Lysander, du fait de sa position de membre le plus récent chez les enfants de Mère avait beau se considérer légitime, il n’en restait pas moins effacé. En ça, Hana et lui était similaires. Son succès comme celui d’Hana était primordial, et il ne saurait mentir et penser que sa présence n’était pas aussi une sécurité pour les plans de Mère, son affection pour la jeune Reinfield en revanche était tout à fait accessoire et personnelle. Son humanité gagnait du terrain et paradoxalement : il aimait ça.
Il ferma les applications et fenêtres de son ordinateur portable. Rangea quelques feuilles volantes dans sa mallette alors qu’il écoutait attentivement la réponse de son élève.

La sorcellerie était toujours un sujet sensible, pourtant Lysander pensait pouvoir régler la majorité des problèmes avec de la bienveillance. Quelque chose que, paradoxalement, Mère lui avait apprise. A l’instar de son passé, où il se serait engouffré dans cette faiblesse afin de l’exploiter, en tant que professeur le manque de confiance en elle le peinait grandement. Après 10 à exercer, il était victime d’une certaine déformation professionnelle : « Je n’en doutais pas un seul instant. » souffla-t-il, ponctué d’un regard chaleureux, alors qu’elle mentionnait le fait qu’elle comptait rattraper le retard causé par sa sieste. Lysander n’était pas inquiet, Hana était brillante, parfois sa personnalité se ternissait, mais ils en savaient tous deux la cause. Cependant sa question le déstabilisa quelque peu… Il était vrai qu’il participait de façon plus que sporadique aux célébrations du Coven, bien malgré lui. En fait, à chaque fois qu’il pleuvait un tant soit peu, il était aux abonnés absents.

« Je… il hésita un instant, puis sembla se rappeler de sa position et reprit d’un ton plus confiant. J’ai beaucoup de travail. Préparer les cours m’est parfois difficile, et les corrections également. Les élèves y mettent beaucoup de cœur et il m’arrive de me perdre dans mes pensées. » ; Il soutint un regard entendu, ce n’était un secret pour personne que Lysander était capable de lire l’avenir, et qu’il réservait majoritairement ses pouvoirs à l’usage de Mère. En revanche les conditions dans lesquelles c’était possible et la façon dont ces visions ne manifestaient étaient plus floues. Hana comprendrait très certainement ce qu’il sous-entendait, pourtant il se sentit obligé de continuer comme pour se justifier davantage, ce qui trahissait son malaise : « Rien qui ne m’empêche de vivre, mais cela me force à parfois décaler mes propres projets. ».
Le professeur se leva de sa chaise, attrapa sa veste, son sac en bandoulière et précéda Hana jusqu’à la porte, où il la laissa passer avant de s’engager puis de la fermer. Il n’était pas rare que des élèves profitent des locaux pour manger, non pas qu’ils avaient le droit de le faire, mais Lysander n’avait aucune envie de subir les odeurs d’un repas qui n’était pas le sien et de faire mine de ne pas écouter les conversations : « J’imagine que vos ami.e.s doivent vous attendre. » ; lança-t-il alors qu’ils évoluaient tous les deux dans les dédales des couloirs dans la direction générale du comptoir qui leur permettait d’acheter à manger à des prix exorbitants.  

« Oh, eh bien le choix vous appartient. ». dit-il sur le ton de la confidence. Après tout, Hana était libre de partir, Lysander n’était pas trop inquiet, en fait, il estimait la sorcière parfaitement capable d’estimer les limites de sa propres fatigue et concentration.
Un brouhaha se leva, plus ils se rapprochaient de leur objectif et plus les voix devenaient fortes. Le professeur lâcha son élève du regard pour découvrir un attroupement de personnes : « Pourquoi pas. », un sourire fermé accompagné d’un léger haussement de sourcil accompagna ses mots. Il fallait bien manger de toute façon. Il n’avait pas fini sa journée et comptait bien repartir travailler ne fois le repas terminé, il espérait que ce restaurant n’était pas trop loin. Il n’était pas à l’aise à l’idée d’abandonner Hana à mi-chemin en se rendant compte qu’ils n’y arriveraient pas à temps.  

Ainsi, ils se dirigèrent tous deux côte à côte mais pourtant guidé par Hana, Lysander ne savait trop quoi dire. La situation était étrange. Il n’avait pas prévu la fuite d’eau, ce n’était pas comme si son don se manifestait intempestivement. Enfin, si. Mais seulement lorsque quelque chose l’intéressait un minimum. Aussi, les visions concernant Hana s’était faites de plus en plus fréquentes. Cela comptait-il comme une intrusion dans sa vie privée ? Pas vraiment, la plupart du temps ces évènements changeaient avant qu’ils n’arrivent, mais il ne pouvait s’empêcher de penser qu’il y avait un côté malsain au rôle qu’il jouait pour Mère et ce au-delà de son contrôle. Le fait est qu’il la surveillait bien malgré lui, et qu’il en connaissait plus que de raison. En soi, Lysander ne lui voulait aucun mal, seulement qu’elle assumât un peu plus son statut de sorcière.
Alors qu’ils marchaient dans la rue, il jeta un regard furtif aux alentours avant de parler d’une voix claire bien que dirigée avec attention dans sa direction : « Je pourrais vous aider, vous savez. Et je ne parle pas de vous donner les réponses à mon prochain examen. Il marqua une pause avant de reprendre. Je peux comprendre que vous ne vous sentiez pas sur un pied d’égalité, vous devez penser que je sais tout de vous, et en un sens il y a une part de vérité à cela. Cependant, si ça peut vous rassurer, je suis prêt à répondre à vos questions. Sachez simplement que Mère croit énormément en vous. Et moi aussi. »