Il n'avait, pour ainsi dire, pas prévu que ça n'arrive si vite. Alors quand son fils lui annonce qu'il va demander sa petite amie en mariage, Konrad se fige, stoïque, et peine à cacher l'inquiétude qui prend forme dans son ventre. "Stephen n'a que vingt-deux ans, et il sort à peine de la faculté. Est-ce bien raisonnable ? Est-ce qu'il va s'en sortir ?" C'est à ça qu'il devrait penser, et pourtant, l'anglais laisse ces préoccupations à sa femme. Dans son esprit, c'est autre chose qui le travaille.
Et si ils le trouvent?Impossible de faire part de ces doutes. Il a promis, pour leur bien à tous. Et c'est aussi un peu pour ce bien, qu'il a toujours été aussi stricte, et aussi protecteur. Parce que non, contrairement à ce que Stephen a toujours écrit sur sa fiche personnelle à l'école, son père n'est pas
exactement un médecin pour la Catholic Medical Association of England & Wales, bien que c'est peut-être ce qui se rapproche le plus de sa réelle activité. Ca passe en tout cas mieux qu'Exorciste pour l'Eglise Anglicane.
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Quand Stephen rentre du boulot, épuisé, il est surpris de retrouver sa femme sur le canapé du grand salon de leur appartement londonien. D'habitude, elle rentre plus tard, absorbée par ses dossiers, entraînant son client pour son témoignage, répétant son plaidoyer. Il défait sa cravate, se débarrasse de son veston, dépose sa sacoche dans l'entrée et rejoint Kristel dans la pièce à vivre, les sourcils froncés, mais un sourire radieux sur les lèvres.
- Alors, comment va le Trésor de Sa Majesté ?
Elle commence l'interrogatoire, les doigts pianotant sur l'écran de son téléphone, comme si la brune n'était pas celle qui méritait des questions. Et elle le sait pertinemment, ne cherchant même pas à cacher le rictus qui se dessine sur ses lèvres quand son époux s'assois à ses côtés.
- Visiblement moins bien que tes clients, puisqu'ils ne semblent même plus avoir besoin de tes services passé vingt et une heure.
- C'est mauvais signe pour notre économie.
Le jeune avocat pour la Couronne s'inquiète. Sa surprise se mue rapidement en une expression plus sombre, malgré sa volonté de se montrer rassurant.
- Quelque chose ne va pas au travail, chérie ?
- Disons que c'est fatiguant, c'est derniers temps. On m'a dit qu'au alentours d'août, je pourrais probablement avoir un congé…
- Pas avant août ? C'est dans une éternité, ça fait quoi … quasiment neuf mois-
Il s'interrompt bien abruptement, et Kristen tourne enfin la tête dans sa direction, dévoilant un sourire amusé laissant apparaître toutes ses dents. Stephen, lui, reste tout aussi confus. Il tente de baragouiner quelques mots, avoir confirmation, mais sa femme prend les devants, annonçant à mi-mots la nouvelle.
- Pas drôle, t'as compris de suite. Je pensais pouvoir faire durer la blague un peu plus longtemps.
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C'est avec un peu plus de deux semaines d'avance que Kristel se retrouve à la maternité, entourée du cercle familial. Konrad et Emma Adler ont fait le déplacement pour rencontrer leur petit-fils, précédé par les Millers qui ont eu à accompagner leur fille. Stephen arriva le dernier, malgré la vitesse à laquelle il a quitté le travail.
Matthew, pour l'Apôtre collecteur des impôts, "un peu comme son père". Jim, pour l'ami de la famille, James Newton, qui deviendra son parrain. Des noms pour rester sobre, dans la tradition dans laquelle le petit blond sera bercé.
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Il a vite grandi, le petit, et on est pas surprise de voir qu'il travaille bien à l'école. Qu'il fait bien ses devoirs. Matthew, il a besoin de l'approbation, alors il suit bien, trop bien, les consignes qu'on attend de lui. Il va à l'église avec papy. Il reste dans la bibliothèque chez lui le soir et le week-end. Et il se prend à aimer les histoires de sorcières qu'il y trouve, et celles qu'on lui raconte. Konrad profite de son statut d'enfant pour réciter ses exploits, parce qu'il se relâche un peu, et qu'on a l'habitude de raconter des comptes dans ce genre au plus jeunes.
Vu que Stephen et Kristel sont toujours aussi occupés, avec leurs carrières dorées et le futur éclatant qu'ils se préparent, la petite tête blonde passe finalement beaucoup de temps dans la maison de campagne de ses grands-parents. Et c'est peut-être comme ça, que la relation qui t'unis à lui, te mènera sur la même voie que ton aïeul.
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C'est à douze an après la naissance de leur premier né, et sept après celle de leur second fils, que les Adlers déménagent. Hong-Kong. Le début des postes diplomatiques. Et tout à coup, l'ambiance devient différente. Le petit anglais n'a jamais été impopulaire, mais à l'école britannique, c'est carrément autre chose. On le félicite pour un peu tout, on se dispute sa présence dans la cour de récrée. C'est peut-être ça, l'origine de sa fierté trop prononcée. Et à cet âge-là, il est encore trop naïf pour se rendre compte que c'est son statut qui attire, plus que sa personne.
Il ne le découvrira que quelques années plus tard, au travers d'une conversation qu'il n'était pas voué à entendre. La déception est grande, évidement, mais surtout, c'est la réaction qui est mauvaise. Ca a fait de lui quelqu'un d'amère, aujourd'hui encore. Quelqu'un de cynique et qui n’a pas confiance en "la foule" derrière laquelle il aime pourtant tant pavaner. Déçu, c'est à cette époque où il a commencé à se détacher de cet aspect sentimental, à préférer se cacher sous l'analyse et la rationalité de son esprit. Et aussi, à voir jusqu'où l'hypocrisie irait.
C'est à partir de cet instant, que l'adolescent a commencé à agir comme le petit con qu'il est toujours. Provoquer, moquer, jouer avec les sentiments, mais toujours s'assurer d'avoir, d'une certaine manière une image acceptable. Cette manie de déformer la réalité, sans pour autant avoir à prononcer des propos inexacts, elle vient de là, elle aussi. Tu ris des gens, comme tu as l'impression qu'ils rient de toi, en croyant que tu ne sais pas ce qu'ils trament. Tu ris des gens, parce que, plus le temps passe, plus tu as du mal à rire avec eux.
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Trois ans depuis l'installation en Chine, quand une connaissance de ton grand-père s'y installe à son tour. Il aurait été soigné par Konrad sur le champ de bataille, quand celui-ci avait fait un déplacement avec la CMAEW, et avait gardé contact avec lui. Alors quelques échanges avaient été fait, et Johnson était devenu un visage familier dans le foyer.
Sur le principe, t'aurais pu t'en foutre. Mais dans les faits, t'étais toujours content de savoir qu'il venait. Parce qu'il venait avec sa fille, Hailey, et qu'elle était vraiment jolie. Ses longs cheveux roux et ses yeux clairs sont toujours aujourd'hui la définition de "ton type de femme", et c'était d'autant plus vrai à l'époque, quand vous passiez tant de temps ensemble : à l'école, après l'école, après vos couvre-feux respectifs quand vous faisiez le mur pour vous retrouver dans les rues du quartier résidentiel où vous étiez installés.
Elle était mystérieuse, au point d'en être parfois agaçante. Parce qu'elle savait, elle. Que son père n'était pas juste militaire. Que Konrad n'était pas juste un médecin. Et elle s'amusait de voir l'ignorance dans les iris brillantes du jeune homme. Jusqu'à ce que ça n'ait plus rien d'un jeu.
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Johnson avait fini par se résoudre. Il n'arrêterait pas la relation entre sa fille et Matthew. Ils avaient respectivement 17 et 16 ans et un mauvais caractère l'un comme l'autre, alors il n'avait pas eu d'autre que choix que d'accepter, parfois, à condition que la porte de Hailey reste fermée et le jeune homme dans le canapée du salon, il puisse rester chez eux pour la nuit. Et c'est l'une de ces nuits, où il a quitté le monde de l'ignorance.
Si la porte de la rousse était bien fermée quand la vitre du salon a explosé, il va sans dire que Matthew, lui, n'était pas dans le canapé. Fort heureusement pour lui, d'ailleurs, car les éclats auraient probablement abîmé son joli visage pour le jour de son enterrement qui aurait rapidement suivi.
La sorcière n'avait visiblement pas de temps à perdre, et elle savait exactement ce qu'elle faisait, qui qui elle traquait. Ses invocations derrière elle, elle scandait le nom du traqueur qui avait capturé son âme sœur. Les portes s'ouvrirent l'une après les autres : celle du combattant en premier, et celle de Hailey, qui avait traîné son petit ami par la main au premier bruit juste après.
Elle savait ce qu'elle avait à faire, alors que vraiment, Matthew n'avait même pas la moindre idée de ce qu'il pouvait bien arriver. Cela dit, le fait de voir son père sortir de sa chambre un fusil à pompe à la main, en même temps qu'il sortait de celle de sa fille au beau milieu de la nuit ne le rassura pas, et ce pour plus d'une raison.
Le fait est que, malgré le froncement de sourcil de Johnson quand il l'aperçu, torse-nu derrière sa fille, la balle n'était pas prévue pour son crâne. Pas pour le moment, du moins. Il était trop professionnel pour perdre une munition à ce moment-là, et il fut dans tous les cas rapidement entraîné par Hailey dans les escaliers qui menaient au grenier, et dans le passage secret qui menait à la pièce de confinement.
Alors elle lui a expliqué, parce que le visage paniqué du blond exprimait à lui seul toutes les questions qu'il avait. Et évidement, il ne l’a pas cru. Pas de suite. Pas jusqu'à ce qu'il ne voit le diablotin enfoncer la porte de leur espace de sécurité. La rousse avait déjà vécu des expériences similaires. A chaque fois qu'ils déménageaient, c'était suite à un incident du genre. Un coup de couteau, et un coup de feu au loin. Le cri de la sorcière fait longuement écho au travers des murs de la maison au style européen. Silence dans les combles, jusqu'à l'arrivée de Johnson, traînant le suppôt de Satan derrière lui.
- Hailey, prépare-toi.
Elle s'exécute. La manœuvre est trop familière. Son père, en revanche, reste immobile. Le jeune Matthew ne sait pas trop où se mettre, peinant à lever son regard du plancher tandis que celui du militaire le fusille.
- T'as pas intérêt à parler de ça à qui que ça soit. Tu nous mettrais en danger. Et si tu LA met en danger, mon grand, je me montrerais pas aussi tendre qu'avec la demoiselle derrière moi.
Il ravale sa salive bruyamment, agite sa tête de haut en bas. L'anglais n'a sûrement jamais eu aussi peur de ta vie. Peut-être même qu'aujourd'hui encore est-ce la scène qui puisse encore le faire trembler aussi fébrilement.
- Et appelle ton grand-père.
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Konrad avait longtemps refusé, mais l'entêtement de Matthew avait fini par avoir raison de lui. Après tout, il faut le comprendre. C'était trop d'un coup. Des sorcières, des diables, la disparition de sa copine, le déménagement à Berlin suite à la mutation de son père, et tout ça dans la même année. Alors forcément, il n'arrivait pas à penser à autre chose.
Comment on se débarrasse de ces choses?Il a attendu, pourtant, avant d'écrire sa recommandation. Parce qu'il ne voulait pas que son petit-fils s'engage sans savoir. Il lui a donné les chiffres, les faits. Parce qu'il savait que c'était ça, son langage. Les discours qui font peur, les simples avertissements, il a rapidement compris que ça ne passerait pas. Et pourtant, malgré la réalité du danger, Matthew a persisté. De moins en moins pour Hailey, de plus en plus pour lui-même. Parce qu'il était passé à autre chose, en trois années, mais sa détermination à rejoindre l'ordre des Traqueurs, elle, n'avait jamais flancher.
Il devait comprendre. Comprendre pourquoi. Comment. La magie, c'était trop gros. Il voulait étudier le processus. Ca ne pouvait définitivement pas juste détruire tout ce que la science avait construit jusqu'alors. Comment étais-ce même possible ? Avec un système si prédictif, qu'une chose aussi massive ait pu être complétement ignoré. C'est comme une toute nouvelle branche scientifique qui se dessinait sous ses yeux, et une dont seule une poignée de personne pouvait prétendre étudier, ou ne serait-ce qu'imaginer. On comprend donc mieux l'obsession.
En parallèle de ses études, une de ces doubles licences en sciences et histoire à la fac de Berlin, Matthew apprend, et apprend encore. Les histoires de son grand-père, les livres de sa bibliothèque qu'il lui fait parvenir par la poste, mais aussi l'allemand, puisque son nouveau pays le demande. Le mentor qui lui est assigné est d'une grande aide. C'est elle qui lui apprend à manier le couteau, d'ailleurs. Valka Larionovna, c'est pas le genre de femme avec qui on a envie de plaisanter, et c'était probablement ce qu'il fallait à notre petit coureur pour apprendre. Je veux dire, ancienne militaire de l'armée soviétique, ça calme rapidement.
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allusion pas bien méchante au fait que le sexe existe dans le prochain paragraphe, mais sait on jamais, c'est dit
Elle glisse à pas de velours sur le parquet, suivi de près par une autre paire de mains sur ses hanches, remontant le long de sa colonne vertébrale à la recherche de la fermeture éclair de sa robe. On ne les surprendra pas ici, ou tout du moins, c'est l'idée. La remise derrière l'école, en pleines vacances scolaires. Pas bien loin de l'église. Loin des oreilles des civils. Il toujours surpris de la vitesse à laquelle elles se débarrassent de sa veste, Matthew. Bien plus rapidement que les autres, comme si c'était une priorité. Elle doute peut-être de ton statut. Pas toi. Ses doigts se sont déjà glissés dans le bas de son dos, là où il sait trouver la marque qu'il cherche. Elle, de son côté, a discrètement tâtonné tes poches à la recherche d'une arme quelconque. Et pendant qu'il se défait de sa cravate, embrassant tendrement sa clavicule, il récupère discrètement la lame de rasoir qui s'y cache. Elle reste entre ses doigts, ceux qui mènent doucement la jeune femme à se tourner pour détacher de son soutien-gorge.
Mais, hey jeune homme, ce n'est pas le moment de s'amuser. Elle est là, ta preuve, entre ses lombaires. Alors il met fin à la plaisanterie, posant le couteau contre son cou. Ses lèvres s’arquent en sentant les muscles de sa victime se resserrer, et ses derniers mots s'en échappent.
- Faudra que tu me donne le numéro de ton tatoueur, il fait un travail sympa. Non, attends, laisse-moi deviner, ça serait pas 666… quelque chose ?
Elle s'agite, mais tu n'as qu'à exercer un peu plus de pression contre ses cordes vocales. C'est son premier trophée à ramener, main liée entre des attaches en plastiques qui traînaient dans le cagibi. De quoi montrer qu'il prêt à rejoindre les rangs à ses supérieurs. A aller là où ça commence à s'agiter. Qu'il saura faire, même si ce n'est qu'un de ces rats de bibliothèque de Thot.
Eigenlich.
C'est là que ça se passe, non ?