Il tient son collier d’une main tremblante, des larmes dans les yeux.  Il te tend la main, tu la saisis. Tu l’avais sauvé et en échange Il t’avait promis sa vie. Tu l’emmènes avec toi dans les profondeurs, son dernier souffle : quelques bulles d’air remontant à la surface de la mer. Il te regarde dans les yeux, tu le sens partir. Puis il rompt le contact, grave de sa magie ton front, enchâsse le talisman contre ton cœur. Ton cri déchirant à jamais englouti par le silence marin. Pourquoi…
Le méfait accomplit, l’homme remonte à la surface, le collier brillant d’une lueur nouvelle. Ce contrat que vous aviez scellé d’un baiser ne tient plus. Ce sorcier t’a trahi. Endormis, emprisonné, tu ne tourmenterais plus son village avec tes vérités et tes prédictions, la monnaie d’échange que tu demandes est trop cruelle. Il reviendrait en héros. Le monstre n’est plus. Tu n’es plus. L’homme laisse tomber une dernière fois son regard sur ta prison, puis la jette de toutes ses forces dans la Mer suprême.



Son cœur se serre, mérites-tu tel châtiment ?... Il ne saurait retrouver le talisman à présent, trop tard pour faire demi-tour. Il se convainc que sa décision est la bonne, et s’en est d’autant plus facile que ton apparence monstrueuse l’en excuse. Sans toi, les familles cesseront de chercher les réponses à un avenir dont toi seul connait les méandres. Tes prédictions ne sont rien d’autre qu’un poison qui ronge le peuple et le fait grandir dans la peur de ce qui pourrait advenir. Tu les rends vulnérables, inattentifs, téméraires. Et, lorsque lui-même a pu déjouer sa propre mort grâce à toi, il s’est rendu compte que tout ça devait prendre fin. A cet instant, il avait refusé de payer la dette de sa propre vie et avait commencé à échafauder son plan.



Tout aurait pu s’arrêter là.
C’est sans compter l’aide de Mère. Elle avait senti depuis longtemps que ce bijou trouvé dans les tréfonds de la Mer Noire n’était pas qu’une simple relique de Samarie. Ton sommeil est pour elle aussi bruyant qu’un appel à l’aide. Aussi elle se rapproche de toi, ou plutôt te rapproche d’elle, tirant sur les ficelles du monde comme une marionnettiste.
Et puis lors d’un énième déplacement de la relique, elle se brise, tu finis devant elle, du moins tu entends sa voix dans ta tête. Hagar, désorienté, encore soulevé par le choc de ce qu’il s’est passé il y a près de 2.000 ans, pour toi ça vient d’arriver. Tu respires péniblement, ta nageoire t’est inutile, alors Mère en profite, tu entends le sourire dans sa voix, elle te promet puissance, vengeance, justice, famille. En échange de quoi, tu te soumettrais à elle comme tu t’étais soumis à ton rôle d’antan. A présent tes prédictions seraient sienne et le pouvoir qui t’a un jour enchaîné est désormais tient.
Tu acceptes. Ta queue se fend en deux jambes, tes branchies se ferment, tes écailles tombent, tes nageoires se résorbent : tu deviens humain. Et puis elle t’abandonne, pour seule indication une intime conviction qu’il te faut aller plus loin dans le territoire autrichien. Tu te traines sur le sol ne sachant te servir de tes jambes, nu comme un ver au milieu d’une ville dont tu ignores tout. Un hasard voudra que tu sois retrouvé à l’hôpital, un couple de vieilles personnes te reconnaissent formellement : tu es leur fils disparu. Mère veille sur toi désormais. Tu n’es plus seul, tu acquiesces. Tu ne parles que l’araméen, ils t’apprennent l’hébreu, l’allemand, les mœurs. Et les médecins s’occupent de ta rééducation.



Malgré tous ces mensonges, tu ne saurais renier ta nature. Au contact de l’eau, cette dernière revient. Tes écailles poussent, tes jambes se fusionnent… L'eau fait tout pour que tu restes, l'eau t'appelle. Elle se veut attachante, rassurante, indolore. Lorsque tu pénètres en elle, c'est comme entrer dans un bain chaud, ton corps s'adapte si vite et son contact est suave et délicat, tu la sens qui t'aide à la rejoindre, elle t'invite, te protège et te rassure. Lorsque tu sors, en revanche, ce n'est pas sans douleur. Elle t'en veut, t'arrache ses privilèges un à un, l'expérience devient insoutenable, tes cris ne la rendent pas plus clémente, elle te fait payer ton abandon, elle prend cette partie de toi et la cache, te l'extirpe et t'en prive, en espérant que tu reviendras la chercher…
Elle devient ton obsession, une fascination maladive. Qu'il s'agisse d'un simple cours d'eau ou d'un fleuve torrentiel, d'un lac turquoise ou d'un marais croupissant, voire simplement une flaque laissée par les averses de la veille. Mère sait à quel point tu fuis la pluie comme la proie fuit son prédateur. L’eau te manque autant qu’elle te punit. Tu dois à Mère ta survie, tu dois à la mer ta naissance et aucune d’elles ne mérite d’être abandonnée. Alors tu subis car, encore une fois, tu acceptes.



Les desseins de Mère sont plus importants que les tiens. Tu lui obéis, tu le lui dois et ça depuis bientôt 10 ans, ce qui n’est rien comparé à tes autres frères et sœurs. Tu espères que ton obéissance pourra la faire changer d’avis, chacune de tes actions implore sa miséricorde tout en témoignant de ta dévotion. Tu iras jusqu’au bout, elle le sait, sinon elle aurait déjà tout repris. Tu as haï cette idée, et puis tu as compris que t’éloigner de ce que tu étais avant est le meilleur moyen d’être toi-même, ton nouveau toi : Lysander Dahan.
Récemment tu as décidé de quitter l’atmosphère oppressante du Coven et de la présence des autres, respirer, ne plus avoir les regards apeurés des gens sur ton passage. Profiter de la vie ce n’est pas attendre chaque Sabbat et te retenir de dévorer ceux qui ont le malheur de s’aventurer près d’un plan d’eau dans tes mauvais jours.
Tu sais qu’un jour viendra le temps de répondre à son appel et de répandre sa bonne parole, tu deviendrais le messie des profondeurs, un rôle qui te tient à cœur autant qu’il te terrifie car tu ne te reconnais pas toi-même lorsque tu laisses sa Voix t’inonder. Il n’y aura qu’elle pour t’aimer lorsque tu ne seras plus que le monstre que tu as toujours été, pourtant tu t’es faite à cette semi-humanité, les gens t’amuses, t’attendrissent, ils ne sont plus aussi pieux et crédules qu’avant. Qui aurait cru que tu prendrais en pitié ceux qui ont essayé de te détruire.