Maintenant t'veux savoir mon histoire ? T'es culotté p'tit. Mais vas-y, j'ai du temps à perdre. Reste attentif.
Si y’a bien une chose que j’pouvais pas enlever à mon bourru d’paternel, c’est qu’il cognait sec et dur. Ouais parce que d’aussi loin que j’me souvienne, j’ai connu que des pains et des beignes d’sa part. M’enfin… J’exagère un peu, mais l’idée est là. Après, j’devais avouer qu’il était un daron old school qui voulait l’bien d’son gosse et qui l’élevait à la dure. Une tradition chez les Jaeger. Traqueurs dont la renommée n’était plus à faire. D’générations en générations qu’il disait. Un fait dont il était plutôt fier, l’bigre. Un fait que j’captais pas trop dans l’temps, tiens.
Toujours est-il que mon enfance a pas été très tendre. Mais pas traumatisante non plus et loin d’là même. J’étais pas un gosse « battu » comme dans les clichés classiques, mais j’prenais cher lors des entrainements qu’il m’faisait endurer. Pour la bonne cause qu’il disait toujours, mais va faire avaler ça à un gosse qui captait rien à la vie ! A huit piges déjà, il m’initiait déjà aux arts d’la traque. L’approche fut bien entendu théorique dans un premier temps, mais j’subissais déjà sa rigueur et quelques exercices physiques plutôt dur à gérer pour un gosse.
Les entrainements olympiques d’chiards chinois ? Du pipi d’chat à côté.
Faut dire aussi qu’il avait peur l’bougre. Peur pour mon avenir. Peur pour l’nom des Jaeger étant donné que j’étais son seul gosse. Après la mort d’ma daronne lorsque j’avais cinq ans et compte tenu d’son job, l’éventualité d’crever lors d’une mission et m’laisser orphelin l’rendait un brin parano. Vu qu’on avait pas d’famille, l’idée pour lui était d’me léguer toutes ses connaissances l’plus tôt possible pour que j’puisse m’défendre si jamais. M’défendre contre les aléas d’la vie. M’défendre aussi et surtout contre les sorcières malgré notre immunité naturelle.
Hormis c’fait, il fallait avouer que j’étais également une canaille dès l’bas âge et que j’me démontais pas devant lui ; c’qui lui facilitait pas non plus la tâche, on s’entend. L’cliché d’l’enfant traumatisé ? Ouais, non, c’était pas moi. Et puis, m’briser physiquement et psychiquement aurait pu lui valoir une visite des services sociaux. S’il était rigoureux et sérieux lors d’mon apprentissage, il n’en demeurait pas moins un père correct en dehors, même s’il avait du mal à m’chouchouter. Pas tyrannique pour un sou, j’avais donc appris à tirer parti d’cette facette…
Les crasses que j’lui faisais étaient un juste retour des choses. Avec l’recul, j’me souvenais d’quelques sourires fugaces et d’regards pétillants l'air de dire une seule chose après mes grosses conneries :
« Bien ouej’ fiston »
Ou quelque chose dans l’genre.
C’est d’ailleurs à l’âge dit ingrat (ou vers la fin, j’sais plus trop) que j’eus assez d’jugeotte pour cerner complètement ses doutes, peurs et sa manière d’m’éduquer. J’crois bien qu’à c’moment précis, j’mis d’l’eau dans mon vin. Les crises d’adolescence tout ça, j’ai pas trop connu, même si j’restais un sale gosse qui lui filait parfois des migraines : Sécher les cours, ken des tchoins à l’occasion et chiper ses sous en lui faisant les poches ? Check. D’quoi l’rendre chèvre. Mais devant sa vieillesse, ma jeunesse et ma résilience, les coups n’étaient plus tellement une option.
Y’avait que les sermons. Et encore. Ils marchaient plus trop…
L’Wehrpflicht vint à point nommé pour lui, même s’il m’avait déjà plutôt bien formé. L’service militaire fut une occasion d’parfaire non pas mes aptitudes physiques qui étaient déjà au point pour un jeune adulte d’mon âge, mais mes aptitudes mentales. Sauf que ça a failli bien capoter cette histoire... Très vite conscient d’être très au-dessus de la mêlée, faut dire que j’en branlais pas une, c’qui rendit mon passage dans l’armée plus ou moins laborieux. Cependant, quelques hauts gradés réussirent à m’faire rentrer dans les rangs, si bien que j’envisageai d’faire l’armée.
Les études, c’était bien beau mais ça a jamais été mon fort…
Quant à la traque ? J’m’en fichais un peu.
Et puis, jusqu’à cette période, j’avais jamais encore participé à une chasse aux sorcières.
Comment m’y intéresser dans ces conditions ?
Au sortir d’mon service militaire et lorsque j’lui annonçai mon intention d’m’enrôler définitivement dans l'armée, l’vioque s’y opposa pas. Bizarrement. Là encore, l’fumier était persuadé que j’allais redevenir un traqueur. C’était dans l’sang ces choses-là. Il l’savait. Il l’sentait. Du coup, j’fis doucement mes classes dans l’armée allemande. C’est d’ailleurs au sein de l’armée que j’me fis mes premiers vrais potes. Faut dire qu’avec mes nombreux déménagements dans toute l’Allemagne du fait du boulot trop dangereux d’mon père, j’avais jamais vraiment eu d’réelles attaches.
D’ce fait, ces gars là avec qui j’partageais un quotidien pas forcément facile étaient mes frères d’armes.
Mes frères tout court.
Malheureusement, les bonnes choses ont une fin. Fin parfois brutale. Et pour moi, l’année de mes 22 piges marqua un tournant décisif dans ma vie. Un road-trip avec mes frères d’armes au Pays d’Galles lors d’une permission sema mort et désolation dans tout l’groupe. Il avait suffi d’une soirée bien arrosée dans un pub, devant un match d’rugby, et d’quelques mots plus hauts que d’autres sur fond d’grands discours beaufs pour que ça dégénère. Dix allemands baraqués contre un britannique aussi frêle qu’une frite. Métèque qui plus est.
L’affaire aurait dû être plié. Mais c’fut un carnage total…
Mes neuf potes moururent sur l’coup, là où j’me tirai d’affaires avec une grosse balafre qui avait totalement creusé ma joue gauche. Une belle marque à vie. Mon premier combat contre un sorcier, un vrai, s’était fait dans le sang et les larmes, en plus d’se solder par une défaite. M’avait pas fallu longtemps pour capter qu’on avait affaire à un type anormal et boire l’contenu d’une fiole avec laquelle j’me pavanais toujours sur ordre d’mon vieux. L’infusion. C’était c’qui m’avait maintenu en vie. Mais la violence du combat et la première utilisation n’pardonnèrent pas.
Un semaine d’coma s’en était suivi.
Lorsque j’me réveillai, mon vioque était à mon chevet. Un représentant d’l’armée également, ainsi que quelques élus locaux gallois. L’affaire fut très vite étouffée d’part et d’autre et on m’rapatriai aussi sec en Allemagne lorsque j’fus en voie d’guérison. Une fois sur pieds, l’tribunal m’convoqua. Avouer c’qui s’était passé ? Qui croirait en la sorcellerie et puis surtout, qui approuverait l’fait que dix militaires un peu trop éméchés voulurent s’en prendre à un seul homme ? Face à mon mutisme qui s’apparentait à un refus d’coopérer, on m’radia purement et simplement.
En l’espace d’quelques temps, j’avais perdu mes potes et surtout mon avenir en tant que soldat…
D’quoi vous achever un homme. L’meurtrir psychologiquement parlant.
Parce que oui… Quelque chose s’était définitivement brisé en moi.
L’vioque m’ramassa à la p’tite cuillère. Littéralement. Et il m’fallut des mois entiers pour m’remettre d’une dépression qui m’avait obligé à m’cloitrer dans un coin d’notre piaule miteuse. La tristesse s’mua peu à peu en colère. Et la colère appela inévitablement la vengeance. Un fait qui ravit énormément l’vioque qui n’arrêtait pas d’marmonner « qu’à quelque chose malheur est bon ». L’idée pour lui d’me voir reprendre l’flambeau alors qu’il approchait d’un âge où il n’était plus aussi brillant qu’auparavant n’pouvait que lui faire énormément plaisir.
Les entrainements avec mon daron reprirent, mais pas que. Maintenant que j’étais adulte et que j’avais toutes les « armes » pour réussir dans la profession, mon père décida d’m’envoyer au front. Ma première véritable chasse s’fit donc à l’age de 23 piges. La première d’une longue liste interminable. Si l’objectif était généralement d’capturer nos proies, ces dernières finissaient généralement six pieds sous terre avec moi en jeu. L’daron essaya d’contenir cette rage qui m’anima sur l’terrain d’chasse, mais y’avait plus grand-chose à faire en vérité :
Ils avaient buté mes potes. Ils avaient volé ma vie. Résultat ? Ils avaient tout bêtement créé un monstre.
Une bête.
La vengeance est un plat qui s’mange froid. Après deux ans d’carnage dans la zone où j’me fis petit à petit un nom dans l’milieu, une relation à mon père lui indiqua la potentielle présence d’celui qui m’avait bousillé la vie dans une zone d’la Grande Bretagne. Y m’fallut pas plus pour y débarquer une nouvelle fois. Et tout un mois pour l’choper. Cette fois-ci, l’combat fut complètement déséquilibré et en ma faveur. Force, expérience, roublardise. Tout y était passé pour l’foutre au sol après une courte bataille. Et pour souiller complètement son corps et son âme.
La mort était trop douce. Il fallait qu’il souffre lui aussi. Qu’il endure c’que j’avais enduré.
Si bien que la nuit d’ma victoire fut pratiquement ignoble pour celui qui allait devenir mon nemesis.
Cette victoire m’donna définitivement goût à la traque. J’étais un Jaeger. Un chasseur par définition. J’y étais prédestiné puisque mon blaze parlait pour moi. Une vie au sein de l’armée n’aurait certainement pas eu d’sens, surtout avec tout c’que j’savais du monde des sorcières et d’l’art d’les traquer. Une manière pour moi d’relativiser et de définitivement embrasser une carrière bien pleine. Avec ma sale gueule défigurée, personne n’voudrait d’moi dans un autre travail. Et puis, à part cogner les gens et jouer au soldat, j’savais rien faire d’autre…
Mon vieux finit par crever des suites d’une maladies et m’légua une fortune somme toute importante du fait des primes qu’il touchait lors d’son job. Si son deuil fut d’courte durée, une toute autre nouvelle vint éclaircir ma vie aux teintes un peu trop sombres : La naissance d’ma fille. Ouais. Comme quoi les moches savaient pécho, heh. A 27 piges, j’étais père. La naissance d’ma gamine m’adoucit quelque peu et m’rendit un peu plus humain, si bien que j’arrêtai d’tuer systématiquement tous les sorciers que j’traquais. Trois ans plus tard, j’devins même une ombre du soleil.
C’est un peu d’fil en aiguille que j’finis par m’installer à Eigenlich aux environs de 2023. Avec l’fric que mon vieux m’avait laissé et mon propre pécule, j’construisis une grande auberge en périphérie et j’m’improvisai tout simplement barman à mes heures perdues. L’idée était d’construire un foyer pour ma gosse et aussi pour pouvoir m’poser et avoir une base pour mes frères d’armes. J’avais acquis l’titre d’aspirant au chaos naturellement et c’est naturellement que j’brassai une poignée d’partisans non négligeables. Devenir chaos hein ? Pas une ambition d’merde.
L’idée m’plaisait bien. Même si j’bandais pas plus que ça dessus.
Aujourd’hui ? J’gagne bien ma vie. Ma gosse à 18 piges maintenant. Une vraie femme la bougresse ! Par contre, elle cogne dur et gueule comme son père. Déconnez pas avec elle ! Une future traqueuse d’renom, c’moi qui vous dit ! Pour c’qui était entrain d’se dessiner dans la ville, j’en avais pas grand-chose à foutre, même si certains détails m’titillaient. Bah… Et puis, ça m’donnait toujours du boulot, histoire que j’rouille pas. A 45 piges et après avoir presque tout prouvé, j’voulais plus qu’une seule chose : Des sensations fortes, histoire d’bien finir ma vie !
Et pour ça, y’avait pas moyen que j’hésite à chasser d’la sorcière. Encore et encore.
Quitte à les buter toutes. Ouais, p’tit. C’est la vie qu’est ainsi faite. J’y peux rien. T’y peux rien. On n’y peut rien.
Allez, maintenant va t’pieuter. J’te raconterai d’autres p’tites anecdotes demain si t’es sage !